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Pour une stratégie #socialmedia en communication publique

PAROLE PUBLIQUE oct. 2023

Laurent Riéra, directeur de la communication, ville et métropole de Rennes, vice-président de Communication publique

Laurent Riéra
Directeur de la communication, ville et métropole de Rennes, vice-président de Communication publique.

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°30 d'octobre 2023 à découvrir ici

 

Je veux ici plaider pour une approche stratégique de l'utilisation des réseaux sociaux par la communication publique. L'Observatoire social média des territoires publie, à l'occasion du Cap Com numérique 2023, sa première étude à grande échelle sur l'utilisation de Twitter-X par les collectivités territoriales. Cette étude arrive à un moment particulier dans l'histoire encore jeune et déjà bien agitée de l'ex-réseau à l'oiseau bleu. C'est peu dire que la gestion erratique de la plateforme par son nouveau propriétaire, le libertarien Elon Musk, suscite beaucoup d'interrogations et relance régulièrement le débat : faut-il ou non quitter Twitter-X ? Il n'est pas ici question de s'attarder sur les positions personnelles des uns et des autres, elles leur appartiennent et ont chacune leur part de légitimité, entre réflexion éthique et réaction épidermique. Le sujet est sensiblement différent pour les institutions publiques, notamment pour les collectivités, qui doivent s'adresser à un large public, sans discrimination.

Les collectivités territoriales doivent-elles quitter Twitter-X ?

Pour sa régularité de publication, son taux d'engagement, la qualité des interactions avec les utilisateurs et la progression du nombre d'abonnés, Rennes Métropole se classe à la deuxième place des métropoles françaises derrière Lyon. Une belle reconnaissance pour l'ensemble des équipes rennaises, qui oeuvrent depuis plusieurs années pour que les réseaux sociaux en général, et Twitter-X en particulier, soient d'efficaces canaux de communication pour relayer les politiques publiques à l'échelle locale.

X reste une plateforme performante pour informer et converser. Mais l’algorithme favorise bulles informationnelles et contenus émotionnels.

Qu'il me soit permis de redire ici une conviction : dans une stricte approche professionnelle, Twitter-X reste, à ce jour, une plateforme performante pour répondre à deux enjeux essentiels en matière de communication publique : informer et converser. Utile pour faire notamment le « service après-vente » de l'institution, dès lors qu'il s'agit, par exemple, d'apporter des précisions à d'éventuels ayant-droits. Utile pour engager son audience et construire son expertise. Pour combien de temps encore ? S'il est vrai que les signaux, de moins en moins faibles, n'invitent pas à l'optimisme, bien malin qui pourrait porter un jugement définitif sur l'avenir de l'application. Est-il trop optimiste de penser que l'outil est désormais suffisamment puissant pour ne pas se résumer à son seul dirigeant ? Est-il inutile de rappeler que la plateforme, largement émancipatrice pour des millions d'utilisateurs, du printemps arabe et la révolution iranienne, pour ne citer que les cas les plus emblématiques, ne peut se résumer à sa seule fonction polémique ?

En attendant, Twitter-X conserve un intérêt certain pour s'adresser à un public qui a du temps à consacrer à la chose publique et qui reste accro à l'actualité, en premier lieu les personnels politiques (élus et collaborateurs), les militants de toutes les causes, les communicants et les journalistes. Auprès de ces catégories influentes, cette plateforme reste une incomparable caisse de résonnance quand on a un projet à dévoiler et à défendre… et aussi à attaquer, mais ceci est une autre histoire. Sans compter, bien-sûr, son efficacité démontrée en cas d'alerte ou de crise, ainsi que sa fonction de « porte-voix » institutionnel.

Auprès des catégories influentes, X reste une incomparable caisse de résonnance pour dévoiler et défendre un projet. Mais le ruissellement d'information vers le grand public est hypothétique.

Pour autant, il est certain que Twitter-X ne représente pas l'ensemble de la société française et n'est pas l'alpha et l'oméga de la communication numérique. Ici comme ailleurs, les effets du ruissellement, en l'occurrence celui de l'information vers le grand public, restent hypothétiques. D'autant que l'algorithme favorise les « bulles informationnelles » et les contenus émotionnels. Pour éclairer les citoyens, misons plutôt sur une utilisation raisonnée de l'outil, parmi une panoplie d'autres réseaux sociaux, chacun avec des objectifs assignés, une audience spécifique, une ligne éditoriale, un planning de publication, une charte de modération et un budget afférent.

Pour éclairer les citoyens, miser sur les synergies dans une panoplie de réseaux sociaux et de médias, chacun avec des objectifs assignés.

Pour résumer, ne faisons pas l'économie d'une véritable stratégie social média, inscrite et assumée dans un projet de communication plus large, incluant l'ensemble des outils métier. Avec toujours l'objectif de rendre compte de l’action publique, pour en montrer le sens et l’ambition, pour rendre lisible la décision et, au final, pour éclairer les citoyens dans un cadre démocratique. Une utilisation « raisonnée », c’est-à-dire s'affranchissant autant que possible de la tyrannie de l'immédiateté. Nul besoin d'être présent partout, tout le temps, et notamment « en temps réel ». Réinterrogeons la pertinence des live-tweets, même s'ils constituent une mémoire de l'instant parfois appréciable. Acceptons de différer des publications en recherchant une valeur ajoutée dans des contenus plus adaptés. Travaillons à une meilleure efficacité des visuels. Instaurons des rendez-vous et des routines. Recherchons une plus grande sobriété éditoriale, en écho au nécessaire allègement de la charge mentale qui pèse sur les communicants publics. Réfléchissons en profondeur aux synergies avec tous les autres médias, print ou en ligne, à notre disposition. Et faisons des choix dans la durée.

S'affranchir autant que possible de la tyrannie de l'immédiateté. Faire des choix dans la durée.

Bref, mettons en pratique le récent conseil du New York Times à ses journalistes : « Tweet less, tweet more thoughtfully, and devote more time to reporting » *. Le débat est ouvert.

 

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* « Tweetez moins, tweetez de manière plus réfléchie et consacrez plus de temps aux enquêtes. »