Aller au contenu

Faire confiance aux Français

Confiance PAROLE PUBLIQUE nov. 2021

Emmanuel Rivière, directeur des études internationales et du conseil politique au niveau global de Kantar Public et Laure Salvaing, directrice générale de Kantar Public en France

Emmanuel Rivière
Directeur des études internationales et du conseil politique au niveau global de Kantar Public

Laure Salvaing
Directrice générale de Kantar Public en France

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°28 de novembre 2021 à découvrir ici

La confiance est la question clef que nous posons depuis plus de 40 ans dans le cadre du baromètre Kantar Public – onepoint (à l’origine Sofres) pour le Figaro Magazine : « Faites-vous confiance au Président de la République / au Premier ministre pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement ? ». Elle est au cœur de la relation que les citoyens entretiennent avec ceux à qui ils confient le pouvoir, et loin de se démoder au fil des décennies, la question de la confiance s’est alourdie d’exigences supplémentaires. Il ne s’agit pas seulement de savoir si le dirigeant politique est capable de gouverner efficacement, mais s’il est digne de foi, lorsqu’il s’adresse aux Français. S’agissant des présidents français, l’analyse de l’évolution de ces cotes de confiance semble indiquer assez nettement qu’un tournant s’est produit au moment du changement de millénaire. Cela invite à dépasser la seule analyse des faits et gestes du chef de l’État en exercice pour s’interroger sur ce qui obère, durablement et systématiquement, le lien de confiance des Français avec leurs présidents.

Il s’agit bien là d’une spécificité française qui distingue notre pays de la plupart de ses partenaires et voisins.

La question de confiance est devenue une question obsédante. Ce n’est pas un hasard si l’un des baromètres de référence du Centre d’étude de la vie politique française (CEVIPOF) se nomme le baromètre de la confiance politique. Il serait presque tentant de le rebaptiser baromètre de la défiance car sa publication chaque année entraîne principalement des commentaires sur le niveau de défiance qu’inspirent les institutions les plus mal évaluées, parmi lesquelles figurent les partis politiques et ceux qui exercent des responsabilités nationales. La France serait donc en pénurie de confiance, tout particulièrement. De fait, il s’agit bien là d’une spécificité française qui distingue notre pays de la plupart de ses partenaires et voisins. Les enquêtes Eurobaromètre de la Commission européenne et du Parlement européen permettent à cet égard d’édifiantes comparaisons. La France figure au 20ème rang sur 27 pays de l’UE s’agissant de la confiance dans le gouvernement national, au 24ème rang pour la confiance dans les partis politiques, au dernier rang quand il s’agit d’exprimer sa confiance dans l’Union européenne. Sur beaucoup d’autres dimensions testées dans ces mêmes baromètres, les réponses des Français sont proches de la moyenne de l’UE. Il y a « quelque chose de pourri » dans notre République, autour de la relation de confiance.

Si les comparaisons internationales aggravent le constat, la comparaison entre les institutions permet d’affiner le diagnostic, voire d’esquisser des pistes de solutions. La confiance accordée aux institutions locales, municipales notamment, est bien supérieure à celle des institutions nationales. Ce Graal qu’est la confiance si pauvrement allouée aux gouvernants serait donc à chercher dans la relation de proximité. Dans cette quête de confiance, territoire est devenu le mot à la mode. Mais parler de territoire ou même dans et pour les territoires suffit-il ? Les comparaisons européennes fournissent une autre indication précieuse : dans les enquêtes Eurobaromètre, la France est aussi une championne de la défiance envers les médias (25ème rang sur les 27 dans le classement allant du pays le plus confiant dans ses médias à celui le moins confiant). Mauvaise nouvelle, pour les dirigeants politiques, que le moyen par lequel ils entrent le plus souvent en contact avec leurs opinions publiques soit lui-même entaché de défiance. L’analyse approfondie de ce rapport aux médias montre que la défiance se concentre surtout sur la télévision (et sur les réseaux sociaux). Le couple politiques-télévision constitue, dans les yeux des Français, cette espace où se produit une parole vaine, déconnectée du réel qui leur semble souvent un théâtre d’ombres. Que l’émergence des chaînes d’information continue, qui accordent une large place à l’actualité et aux invités politiques, semble avoir altéré le crédit général des personnalités politiques n’est qu’un apparent paradoxe. Pour les Français, cette exposition n’aboutit en fait qu’à une surabondance de discours politiques, sans que le réel reflète davantage que par le passé l’efficacité de l’action. Cette inflation de déclarations aboutit à une dévaluation de la parole politique qui invite à revisiter les bons niveaux de confiance accordée aux édiles locaux : le crédit dont bénéficient les maires n’est pas seulement celui de la proximité géographique, mais celui de la proximité entre le discours et les actes. La communication plus sobre des collectivités locales se produit au moment où leur action est effective, quand les annonces gouvernementales sont parfois totalement déconnectées du moment de leur application effective. Que la crédibilité gouvernementale soit réhabilitée lorsque se produisent des séquences courtes, comme l’an dernier lors de la mise en place du chômage partiel, semble le démontrer. Les leviers de la confiance ne semblent donc pas impossibles à activer. Malheureusement le climat de défiance, incite souvent à faire les mauvais choix. Là où la quête désespérée de confiance pousse les gouvernants à toujours davantage communiquer, il faudrait apprendre à retenir sa parole pour ne la délivrer qu’au moment opportun.

La France est aussi une championne de la défiance envers les médias.

Les pistes à explorer pour retrouver le chemin de la confiance pourraient commencer par se méfier de l’excès de méfiance. Le climat de défiance est devenu à ce point obsédant qu’il obère jusqu’à la capacité à voir la confiance quand elle se manifeste. Nous avons évoqué le baromètre de la confiance politique du Cevipof, qui fait référence dans ce domaine, et a beaucoup nourri le débat public sur le constat de défiance. Avons-nous accordé la même attention et la même importance aux indicateurs de ce même baromètre lorsqu’ils mesuraient une hausse significative de la confiance dans les institutions entre 2018 et 2021 ?

Cette difficulté des acteurs du monde politique, au sens large, à relever aussi bien l’amélioration que la détérioration de la confiance n’est pas de moindre importance. Nous nous intéressons beaucoup et commentons abondamment cette crise de confiance à l’aune des sentiments que les citoyens éprouvent pour les politiques, en négligeant trop souvent le corollaire : la faible confiance que les politiques accordent aux Français. Or la crise de confiance semble aggravée par une forme de réciprocité : les Français sont certes peu nombreux à faire confiance à leurs gouvernants, mais nous avons mesuré, en 2018, qu’ils étaient moins nombreux encore à ressentir de la confiance de la part de leurs gouvernants. De fait les manifestations de cette défiance ne manquent pas. N’a-t-on pas jugé utile, au moment où des interrogations agitaient le gouvernement sur la capacité à mettre en place l’impôt à la source à la date prévue, de prétendre que les Français n’étaient pas prêts, alors que les études établissaient clairement le contraire.

Le climat de défiance est devenu à ce point obsédant qu’il obère jusqu’à la capacité à voir la confiance quand elle se manifeste.

Là réside pourtant un risque majeur : que la défiance des Français ne suscite chez les gouvernants une posture défensive, de défiance, aboutissant à des réflexes d’inhibition de l’action ou de rétention d’information. Sans convaincre les plus hostiles, cette attitude risque fort d’indisposer la majorité des citoyens qui aspire avant tout à comprendre les choix et à y participer. Ce risque est amplifié par le miroir déformant des réseaux sociaux qui donnent à voir une image caricaturale de la société et des débats qui l’agitent. Chacun le sait, mais combien de nos dirigeants savent passer outre les attaques qui y pullulent pour prendre le risque de la transparence et de la sincérité ? Pourtant, le chemin de la confiance politique passe sans doute par cette première étape : faire confiance aux Français et à leur capacité de jugement, malgré tout. Nous en faisons incessamment l’expérience : les mêmes Français qui jugent de manière si acerbe leurs dirigeants et semblent désespérer de la sphère politique savent, lorsqu’ils sont invités à des jurys citoyens ou des conférences de consensus, accueillir la parole des experts, accepter dans la confrontation des idées la recherche du compromis, et trouver du plaisir et de la fierté à évoluer par rapport à leurs positions initiales. Dans ces espaces de délibération, les clefs de la réconciliation avec la politique et les politiques semblent vraiment à portée de main. Face à la défiance, loin de se calfeutrer il convient de s’ouvrir. Gagner de la confiance, c’est aussi en produire.