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Une politique à hauteur d’homme, remède à la crise de confiance

Confiance PAROLE PUBLIQUE nov. 2021

Pierre Stussi, administrateur général, directeur des services du Département de l’Eure

Pierre Stussi
Administrateur général, directeur des services du Département de l'Eure

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°28 de novembre 2021 à découvrir ici

Dans cette contribution, Pierre Stussi s’interroge sur les racines de la crise de confiance qui traverse notre pays et explore les remèdes pour en sortir qui impliquent pour le politique de descendre de son piédestal.

Je m’interroge depuis longtemps sur un paradoxe : pourquoi, enquête après enquête et éruption sociale après éruption sociale, dont le dernier avatar est le mouvement des Gilets Jaunes, les Français ont si peu confiance dans l’avenir de leur pays alors qu’ils s’estiment en grande majorité heureux à titre personnel. C’est une singularité qu’on ne retrouve pas à ce point dans les autres nations.

D’aucuns expliquent ce malaise par le hiatus entre diplôme et emploi et par un ralentissement de la mobilité sociale, nourrissant des craintes pour l'avenir. J’y vois pour ma part deux origines propres à la France.

D’abord, dans notre vieux pays gaulois, à la fois révolutionnaire et napoléonien, un surinvestissement dans le politique, paré de toutes les vertus transformatrices. Prendre conscience que dans une société complexe et hyperconnectée, la puissance de l’action publique a ses limites ne peut en contrecoup que provoquer la déception voire la haine.

Ensuite, une passion pour l’égalité qui se heurte à une société de rangs qui n’a jamais complètement quitté l’Ancien Régime. Le principe d’égalité d’accès à l’enseignement supérieur se fracasse contre l’élitisme des grandes écoles. L’égalité des territoires voulue par la création des départements est illusoire face au poids écrasant de la centralisation des lieux de décision.

Est-ce d’une psychanalyse dont le pays aurait besoin ?

Le pays de Descartes comprend confusément que des repères qui paraissaient solidement ancrés se brouillent :

  • la société ne se construit pas comme un raisonnement mathématique ;
  • la loi « expression de la volonté générale » ne peut prétendre modifier à elle seule une réalité humaine faite d’humeurs et d’attentes qui lui échappent ;
  • l’égalité de façade ne peut faire le lit de la diversité des positions des individus, des groupes sociaux ou des territoires.

Les appels désespérés à la confiance ne font que révéler un mal dont on cherche vainement le remède : loi pour une école de la confiance, loi visant à améliorer le système de santé par la confiance, projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire… ! Cynthia Fleury1 nous met en garde contre le mal du ressentiment, qui « traverse tous ceux qui se laissent déborder par leurs pulsions », ne se croyant « que victime, nullement responsable ». Est-ce d’une psychanalyse dont le pays aurait besoin ? Les Français auraient-ils un tempérament si singulier ? Je ne le crois pas.

La politique se concrétise par des chaînes d’accompagnement « sans couture », à visage humain.

Ils recherchent à la fois la solidarité et l’autonomie. Des besoins profondément humains. Ils savent que l’homme est un être sociable qui ne peut vivre et s’épanouir que dans l’interdépendance. Le débat n’est pas sur le principe de la solidarité mais sur le curseur qu’on place pour en définir la circonférence : la famille, la nation, les générations futures et le monde vivant ? On pourrait établir une cartographie des courants politiques en conséquence…

Nos concitoyens veulent faire leur vie, se rendre utiles, créer. Mais pas sur injonction. Ils refusent la domination des puissances visibles ou invisibles. L’autonomie dans la solidarité donc.

Le trait commun à ces aspirations : un besoin irrépressible de lien social. Regardons la montée en flèche des troubles psychologiques pendant le confinement. Et l’ouverture des bars et restaurants tant attendue… Les lieux de convivialité sont un service d’intérêt public pour le moral du pays ! À l’inverse, les plateformes téléphoniques de nos « prestataires » publics et privés sont vécues comme un repoussoir déshumanisant.

Il faut avoir l’humilité de faire du citoyen une partie prenante de l’action publique.

Si le maire est le politique le plus apprécié des Français, ce n’est pas parce que la proximité le rendrait plus efficace. C’est parce que c’est le seul élu à qui on peut parler. Nous tenons là l’amorce d’un remède à la crise de confiance. C’est d’une politique à hauteur d’homme dont nous avons besoin. Il faut avoir l’humilité de faire du citoyen une partie prenante de l’action publique, avec tout ce que cela suppose d’écoute, de patience et d’invitation à la responsabilité. Une crise de confiance s’installe si vite à l’encontre d’un pouvoir lointain ou d’un réseau numérique anonyme. Dans une relation de personne à personne, l’antipathie voire la manipulation sont toujours possibles, mais la défiance a plus rarement cours.

À l’envers des constructions monarchiques du pouvoir, inventons des ajustements locaux à visage humain. C’est l’idée du « contrat de vie de territoire » inspirée par André Rossinot, que nous avons développée dans un récent ouvrage2. La démocratie ne se termine pas au lendemain du vote. La politique ne se résume pas à des budgets et à des chiffres. Elle se concrétise par des chaînes d’accompagnement « sans couture », à visage humain. Dans celles-ci, les pouvoirs publics acceptent de s’immerger dans la société. L’usager-consommateur devient citoyen, apporteur d’idées et contributeur à l’action. Il n’y a plus le « je et eux », mais le « nous ».

Le contrat de vie de territoire.

La quête du bonheur est éternelle. Le bonheur, et la confiance qui va avec, n’est-ce pas tout simplement, au-delà « du pain et des jeux », de « vibrer » dans sa vie affective, familiale et amicale, dans sa profession, dans son engagement politique ou associatif, dans la création, dans le contact avec le beau de l’art ou de la nature ? Certains parleraient du droit à entrer en résonance3, à l’encontre de l’impératif creux du « soyez positifs ». La politique – et les médias avec - ne doit-elle pas, grandeur et servitude, se mettre à l’écoute de ces attentes fondamentales ? Les Français pourront alors guérir de cette maladie de la confiance et surmonter les tempêtes du XXIème siècle qui nous attendent.

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1 - Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer (Gallimard, 2020)

2 - André Rossinot, Pierre Stussi, Philippe Estèbe, La République des territoires (L’Aube, 2020)

3 - Hartmut Rosa, Résonance (La Découverte, 2018)