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COVID-19 et 5G : la fabrique d’une « fake news »

Médias PAROLE PUBLIQUE nov. 2020

Une propagation fulgurante accélérée par le confinement et une communication « succincte ou floue »

Diane de Sainte Foy
Directrice de la communication, Agreenium (Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France), d’après un récit www.rtbf.be.

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°27 de novembre 2020 à découvrir ici.

Une équipe de chercheurs de l’université de technologie du Queensland en Australie a cherché à savoir comment s’était propagée la rumeur selon laquelle il y aurait un lien entre le déploiement de la 5G et le déclenchement de la pandémie due au covid-19. Selon les posts Facebook qui ont alerté les chercheurs, la technologie servirait « à activer un virus produit dans un laboratoire de Wuhan », la pandémie serait « un prétexte pour développer un vaccin mortel qui sera activé par les radiations 5G », etc. Au fur et à mesure que la rumeur s’est répandue dans le monde, elle s’est diversifiée, amplifiée et a conduit au printemps 2020 à quelques 61 « incendies criminels présumés » au Royaume-Uni et des attaques aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie, à Chypre et en Suède, dont les objectifs étaient de s’en prendre physiquement aux mâts et aux tours 5G, voire aux techniciens qui les installaient. Des faits matériels provoqués par la rumeur qui ont déclenché la motivation des chercheurs à se pencher sur le phénomène.

Une propagation fulgurante accélérée par le confinement et une communication « succincte ou floue »

L’enquête des chercheurs a commencé par la récolte de données à partir de posts Facebook qui établissaient des liens entre la pandémie et la 5G entre janvier et avril 2020. Ainsi, près de 90 000 posts ont-ils été recueillis issus de pages et de groupes publics ou de profils vérifiés. L’analyse de l’origine de ces posts a montré qu’ils étaient issus de groupes conspirationnistes préexistants, relayés et amplifiés par des personnalités en vue, pour partie issues du monde du sport et des médias.

L’origine de ces posts a montré qu’ils étaient issus de groupes conspirationnistes préexistants.

Cette première phase se concrétise en France par exemple, par un post relayé en janvier par le blog « les moutons enragés » qui le premier fait un lien hypothétique entre les impacts négatifs supposés de la 5G sur la santé et le fait que le virus soit parti de la ville de Wuhan qui avait déployé un réseau 5G. Ce post, analysent les chercheurs australiens, a circulé sur 13 pages Facebook différentes touchant 65 000 membres aux profils divers, militants anti-5G, antivax, partisans de soins alternatifs ou encore gilets jaunes. Un article posté par le blog Vigiliae.org, qualifié de conspirationniste par les chercheurs, accélère encore la propagation de la « fake news » en affirmant que le coronavirus serait le résultat d’une expérience médicale ou arme biologique, issu du laboratoire national de biosécurité de Wuhan engagé dans des expériences avec des agents pathogènes dangereux. Ce post aurait pu toucher selon l’équipe australienne, 1,3 million personnes.

La 5G pourrait rendre la covid-19 plus violente.

Fin février, la rumeur s’emballe au cours d’une deuxième phase qui se traduit par sa propagation en plusieurs langues, interviews et vidéos à l’appui : un message en roumain affirme que « le coronavirus n’est qu’un prétexte pour distribuer un vaccin mortel qui sera activé par des radiations de la 5G et entraînera un dépeuplement massif de la terre sur l’ordre de Georges Soros et Bill Gates notamment » ; une prétendue infirmière britannique affirme que « la 5G détruit l’oxygène » ; un site de santé alternative, Electric sens, estime que « la 5G pourrait rendre la covid-19 plus violente » et une vidéo du 7 mars affirme que « le virus n’existe carrément pas », « les symptômes du Covid-19 seraient provoqués par les émissions de la 5G dans le cadre d’un plan mondial des Nations Unis visant à dépeupler la terre » ; enfin dès le 22 mars, des messages en italien, arguent que « le nord de l’Italie qui est alors la région la plus mortellement touchée par le Covid-19, a été la première région européenne à déployer la 5G ».

Des posts mais aussi des actes de violence révélateurs d’autres imaginaires

Mi-mars, à partir de la généralisation des confinements dans le monde, les chercheurs constatent une multiplication des prises de parole sur les réseaux sociaux : « Là où la communication gouvernementale est parfois succincte et floue, les réseaux sociaux offrent une succession de théories auxquelles la population confinée a le temps de s’intéresser ». Selon les théories de stars et de pasteurs évangéliques, « les lockdowns seraient une couverture pour installer des mâts 5G sur des bâtiments scolaires aux États-Unis alors que les enseignants, les parents et les élèves sont absents ». Une vidéo d’un pasteur évangélique du Zimbabwé se faisant passer pour un ancien cadre d’un opérateur télécoms et dénonçant les dangers de la 5G, a pu toucher 18 millions de personnes selon les chercheurs australiens.

Fin avril, à la suite de plusieurs attaques physiques contre des mâts et des tours 5G, certains réseaux sociaux prennent des mesures pour limiter la propagation de la rumeur, sans grand succès. Pour les chercheurs australiens, le cheminement emprunté par la fabrication de la « fake news » illustre les anciennes croyances conspirationnistes. Selon Marie Peltier*, historienne, « il y a toute une sémantique qu’on retrouve sur les sphères conspirationnistes en ligne depuis des années et qui est remise en branle à chaque événement traumatique. Cette sémantique peut être qualifiée d’antisystème et prospère notamment sur les questions liées à la santé et à l’écologie ».

L’étude des chercheurs australiens s’est limitée à l’analyse des posts Facebook. Nul doute selon eux que ces phénomènes se déroulent sur d’autres plateformes de réseaux sociaux avec les mêmes conséquences. L’intérêt d’étudier le fil de la propagation d’un complot pour Marie Peltier, est « d’identifier quelles sphères idéologiques propagent ces récits et donc aussi de relier des théories à d’autres qui lui sont apparentées. Une théorie du complot voyage rarement seule : elle transporte avec elle tout un imaginaire politique ».

Cette sémantique peut être qualifiée d’antisystème et prospère notamment sur les questions liées à la santé et à l’écologie.

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* « Obsessions : dans les coulisses du récit complotiste », Inculte, 2018